
2 entrées à gagner pour le concert des 99 Posse + Modena City Ramblers à La Bellevilloise
19/10/2015
Le 25 novembre on fête les Catherinettes
25/11/2015Avant de déménager à Paris pour moi c’était le vendredi 17 le jour à éviter avec l’inévitable phrase “J’y crois pas, mais on sait jamais”, mais depuis des années le vendredi 13 a pris sa place et la superstition cette fois-ci a malheureusement gagné.
Cela fait un an et demi qu’on attend de partir pour ce voyage qu’on a déjà reporté une fois. C’était long mais enfin nous sommes prêts pour partir trois semaines en road trip en Australie. Tout a été préparé pour quitter Paris dans les meilleures conditions possibles: articles programmés sur le blog, clients prévenus, dossiers urgents traités, je peux partir en paix et profiter de mes vacances.
Il est 8h du matin du 14 novembre 2015 à Sydney quand on se réveille, prêts pour le premier vrai long voyage en voiture : de l’eau fraîche sur le visage, lavage des dents et dernier coup d’œil au wifi car on n’aura pas accès jusqu’au soir. Dès qu’on les allume nos téléphones pètent un câble, messages de plein de gens qui nous demandent où l’on est et si on va bien, qu’est-ce qu’il se passe ? Un de nos très chers amis nous écrit qu’à Paris il y a des coups de feu partout, horrifiés on découvre qu’il y a une fusillade pratiquement à cinq minutes de chez nous, une autre dans un quartier qu’on fréquente et qu’il y a une prise d’otages au Bataclan, au Bataclan bordel, à deux pas de chez nous et où l’on va souvent.
Première réaction : qu’est-ce qu’il se passe ? Quelqu’un sait quelque chose ? Mais sur le web on parle seulement de fusillades et du Bataclan, sans plus de détails. Deuxième réaction : nos amis merde, ceux que le vendredi soir sortent boire un verre ou vont au Bataclan voir un concert, juste comme nous, et nos voisins merde, nos voisins qui empruntent ces rues tous les jours pour rentrer chez eux ! On ne sait pas quoi faire, qu’est-ce que tu veux faire depuis l’autre bout du monde ! On peut juste commencer à notre tour à envoyer messages, en rassurant nos familles et nos amis qu’on va bien, et en essayant d’avoir des nouvelles, mais comment faire pour savoir si tout le monde va bien ? Et alors on commence avec WhatsApp, sms, Facebook, n’importe quel moyen pour avoir des nouvelles, et à chaque “On va bien” ou “XX a été signalé en sécurité” sur Facebook, on est un tout petit peu rassurés, mais ça se passe en direct, et on ne sait pas quand ça finira. En sautant dans la voiture j’ai peur de rallumer le wifi à l’arrivée, la journée passe à parcourir centaines de kilomètres en silence, et à la radio australienne ils ne disent rien encore.
Nous arrivons en soirée dans un petit village caché dans une forêt, pour nous c’est le soir du 14, pour l’Europe c’est « le jour après les attaques » : sans rien dire on décharge les bagages, on s’assoit sur le lit, on allume wifi et télé et on reste comme ça, sans même enlever nos vestes, à contempler l’horreur, à écouter l’absurdité, tristes, enragés, hallucinés, sous le choc… en continuant à vérifier qu’au moins nos amis aillent bien et à répondre aux messages qui continuent d’arriver pour savoir si on va bien. A ma réponse « Je vais bien, on est loin de Paris » la réaction est « Tant mieux, alors bonnes vacances et amusez-vous bien”… bonnes vacances, amusez-vous bien… ils ont exterminé de centaines d’innocents, au hasard, de jeunes qui étaient juste sortis pour un verre ou pour un concert, des gens comme nous, qui profitaient de leur vendredi soir et qui sont mortes en manière atroce… bonnes vacances, amusez-vous bien… Je voudrais être à Paris pour donner mon sang, enlacer mes amis et les inconnus dans la rue, offrir mon hospitalité, et je suis à l’autre bout du monde, et quand l’Europe se réveille moi je vais me coucher (ou au moins j’essaie).
Après la première journée d’horreurs commence l’attente pour savoir si parmi les victimes il y a quelqu’un que je connais, car je n’ai aucun autre moyen qu’attendre et vérifier les news, celles fiables, en essayant d’éviter les réseaux sociaux, je connais tellement d’entre vous à Paris….
Et puis mon voyage continue jour après jour, combattue entre le sentiment de lâcheté d’être bien contente d’être loin et l’impuissance de pouvoir rien faire (et alors j’écris), l’envie de « continuer nos vies car on ne doit pas les faire gagner ces merdeux qui fouttent la terreur » et l’incapacité en réalité de le faire, malgré le fait d’être loin. Pendant le jour je m’oblige à penser à autre chose, à découvrir toutes les choses inconnues autour de moi (la nature, les animaux, les us et coutumes…) à prendre des photos pour me rappeler de ces moments, à rigoler et profiter du temps que je passe avec l’homme de ma vie, et puis on monte dans la voiture et le silence prend le dessus, on rentre dans nos nombreuses maisons et on apprend la perte d’amis d’amis, et j’écris … c’est tout ce que je peux faire. Je suis enragée, je suis triste, je suis angoissée, j’ai peur, je suis hallucinée, je suis tout ça et rien de tout ça.
On rencontre des européens qu’à la phrase “Enchantés, nous sommes italiens mais nous vivons à Paris” (à laquelle normalement on répond « Magnifique ! Quelle chance vous avez !”), ces jours-ci changent d’expression et ils ont l’air de vouloir nous enlacer. Les australiens au contraire ne nous demandent rien, mais c’est normal, pour eux il s’agit de l’énième tragédie loin de chez eux, c’est humain, la mort nous choque quand elle nous touche de prêt.
En janvier aussi j’étais loin quand ils ont attaqué Charlie Hebdo et le supermarché: je crois qu’il y a une puissante force (et non un dieu dans lequel je ne crois pas) qui me protège pour je ne sais quelle raison, et tout cela me fait penser, de manière égoïste, à la seule chose importante dans ma vie maintenant : être proche des gens que j’aime, emmerder les prises de tête quotidiennes, vivre jour après jour comme si c’était le dernier, sans trop de projets à long terme, car il peut arriver qu’on sorte un soir boire un verre et qu’on rentre pas à la maison…
Et alors je m’excuse pour le silence, mais c’est ma façon de réagir au deuil, surtout quand je ne peux pas enlacer mes amis et mes proches… et maintenant je continue mon voyage entre l’envie de rentrer au plus tôt et la peur de devoir le faire.
Toutes mes pensées vont aux familles des victimes pour lesquelles on peut juste continuer de vivre nos vies, car si on ne le faisait pas “on laisserait gagner les méchants », et nous ne le voulons pas !